Truffes
et Vins
de Laurens
Delpech
A lire du
même auteur :
« Des
Truffes et des Vins » de Laurens Delpech et Jean-Marie Rocchia.
Préface de Vincent Ferniot. 2002. Equinoxe, 24 euros.

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L'article
ci-dessous provient du numéro Hors Série Spécial
Truffes de la revue Champignon (1999, épuisé) chez Pratipresse.
N'étant
pas particulièrement spécialiste des vins, j'ai
trouvé cet article très riche et un bon guide pour
ceux qui cherchent à déguster des truffes dans
de bonnes conditions. Si l'auteur s'oppose à la publication
de cet article : Veuillez me contacter.
La truffe adore flirter avec
le vin, mais on la mange rarement seule. A chacune de ses préparations correspondra
un cru différent. La première idée qui vient
à l'esprit, dès qu'il s'agit d'un accord mets-vin,
c'est de jouer sur l'entente aromatique. C'est souvent un bon
choix : les vins de Pomerol arrivés à maturité
dogagent de subtils effluves de truffes. Ils comptent parmi les
meilleurs compagnons de nombre de plats truffés. Toutefois,
I'accord aromatique n'est qu'une donnée du problème ;
il faut aussi prendre en compte l'accord des textures :
un plat est sec ou onctueux, mou ou croquant. Les vins, quant
à eux, se différencient par leur concentration,
leur acidité et leur structure tannique, variables en
fonction de leur origine et de leur degré de maturité.
Un poisson tendre et fin s'harmonisera bien avec un vin blanc
suave et rond comme un chassagne-montrachet. Un agneau rôti
à la texture serrée s'accommodera bien d'un vin
puissant et tannique comme un Pauillac. Il faut aussi tenir compte
de la garniture et de la sauce qui peuvent bouleverserl'équilibre
des saveurs d'un plat : les haricots verts soulignent l'amertume
des tannins, un poisson dans une sauce au vin rouge s'harmonisera
mieux avec un Saint-Julien qu'avec un Riesling. L'accord idéal
tient compte detoutes ces contraintes. Et qu'est-ce que l'accord
idéal sinon celui qui vous apportera le plus de plaisir,
vous laissera les plus beaux souvenirs ? Tous les chemins
mènent à Rome ; mais dans la quête de
l'accord idéal vous aurezcependant plus de chance de succès
si vous jouez d'après les règles plutôt que
si vous multipliez les tentatives d'accords iconoclastes. Rappelez-vous
notamment qu'il est (presque) toujours préférable
de servir des vins blancs avec des plats à dominante claire
et des vins rouges avec des plats à dominante foncée...
Dans la plupart des cas, la
maturité du vin est un facteur important de l'accord.
La préférence pour la maturité dépend
beaucoup de l'accompagnement de la truffe : une truffe crue,
à la croque-au-sel ira merveilleusement bien avec un Meursault
dans toute sa plénitude ou un vieux Sauternes ; la
même truffe, en compagnie d'un poisson cru ou d'une huître
s'accordera avec un jeune Chablis ou un Pouilly-fumé.
En règle générale, les grands vins rouges
jeunes s'accordent mal avec les truffes en raison de leur fruité
et de leur boisé, non encore fondu, qui provient de l'élevage
en fûts de chêne neufs. Les notes de fruits rouges
ne font pas non plus très bon ménage avec les truffes,
sauf quand ces notes sont fondues dans un ensemble d'arômes
tertiaires où dominent des parfums de champignon et d'humus,
ce qui est généralement le cas des grands vins
rouges parvenus à maturité. N'oubliez pas enfin
que le Chardonnay, le cépage des Bourgognes blancs, s'accorde
mal avec l'huile d'olive. Si vous vous voulez déguster
un grand vin blanc avec une préparation de truffe contenant
de l'huile d'olive, prétérez à un bourgogne
un hermitage ou un Châteauneuf-du-Pape blanc. Ces grands
classiques de la haute cuisine que sont les préparations
à base de truffes exigent du discernement dans le choix
des vins avec lesquels on les déguste.
L'exceptionnel raffinement,
la rareté et le coût de ces mets conduisent souvent
à choisir des vins de haute gastronomie pour les accompagner,
ce qui est parfaitement légitime. La truffe est un produit
magique : ce mets de grand luxe est en même temps
une fille de la terre, qui reste toujours très proche
du terroir où elle est née. C'est une sauvageonne
au sein bruni et à la robe déchirée, mais
qui porte quand même un collier de diamants et s'accordera
toujours mieux avec un Château-Margaux qu'avec un vin de
pays. Voici quelques joyaux de l'nologie qui sont de parfaits
compagnons du diamant noir.
Château
Gazin 1990, Pomerol
L'origine du Château
Gazin remonte au XVe siècle. La propriété aurait appartenu
aux Chevaliers de Malte avant de passer dans la famille de Bailliencourt,
qui en est toujours propriétaire. Le vignoble de Gazin
se trouve au nord-est de l'appellation Pomerol ;
c'est un vignoble d'un seul tenant, d'une superficie de 23 hectares.
Il jouxte Pétrus, I'Evangile et La Fleur, trois prestigieux
voisinages. Au demeurant les Bailliencourt ont vendu en 1969
cinq hectares de Gazin à Pétrus. Depuis plus de
vingt-cinq ans, ces cinq hectares font un excellent Pétrus,
ce qui en dit long sur la qualité du terroir de Gazin.
La Tâche
1989, Grand Cru
Monopole du très célèbre
Domaine de la Romanée Conti, La Tâche est un vin
capiteux et opulent, I'archétype du grand Bourgogne rouge,
toujours riche et dense, même dans les petites années,
car c'est un cru qui se caractérise par sa remarquable
régularité. Si la Romanée Conti est la Rolls
des vins de Bourgogne, La Tâche en est la Bentley. Le millésime
89 commence à arriver à maturité. Sa robe
est d'un rouge profond. Il a un nez complexe de prunes, de violettes
et de cerises avec des arômes floraux et un début
d'évolution (notes de cuir). En bouche, il est puissant
et bien structuré et se caractérise par une superbe
finale sur des notes de cèdre et de
figue sèche. Très belle longueur. Parfait avec
un faisan périgueux ou, en toute simplicité, une
belle truffe cuite sous la cendre.
L'encépagement compte
80 % de merlot, 15 % de cabernet franc et 5 % de Cabernet-Sauvignon.
Le Gazin 1990 a une belle robe grenat et un nez intense et concentré
de prune, de chêne et de café, avec des arômes
de truffe. En bouche l'attaque est nette, les tannins sont présents
mais soyeux. Il sera parfait avec tous Ies plats de volailles
ou de gibiers truffés.
Château
d'Yquem 1988,
Premier Cru classé de Sauternes
Le vignoble d'Yquem s'étend
sur une croupe de 102 hectares, au sommet de laquelle se trouvent
le château et ses dépendances. Le microclimat dont
bénéficie Yquem est optimal pour le développement
sur les raisins de la pourriture noble, ou Botrytis cinerea,
en raison de l'action alternée des brumes matinales, qui
favorisent le développement du champignon et des journées
ensoleillées, qui empêchent un développement
trop rapide. Ce champignon parasite concentre le sucre du raisin
et réduit la teneur en eau de la pulpe, ce qui permet
de produire à partir des raisins botrytisés un
grand vin liquoreux. Rendements très faibles (cinq fois
moins qu'un cru classé du Médoc), difficultés
de vinification, tout se combine pour justifier la rareté
de ces vins, dont la production moyenne varie entre 60 et 70
000 bouteilles par an. Le Château d'Yquem 1988 se présente
sous une robe d'un or profond. Son nez est intense. On y distingue
des arômes de poire, de figue et de caramel. En bouche,
il est riche, onctueux et concentré, avec beaucoup de
complexité et d'élégance. Un magnifique
Yquem, parfait sur une glace à la truffe ou sur des truffes
en papillote au foie gras.
Cristal
Roederer
Le Cristal Roederer a commencé
par être le champagne d'un tsar, le tsarAlexandre II, celui
qui a aboli le servage. Cette cuvée spéciale fut
élaborée à sa demande à partir de
1876. Ce Champagne de très grand luxe était livré
en bouteilles de cristal, d'où son nom, et chaque année
- jusque à la Grande Guerre - la maison Roederer a fourni
ce champagne d'exception à la cour impériale de
Russie, le dernier millésime assemblé pour le tsar
fut le 1914. La cuvée disparut durant une dizaine d'années,
pour renaître en 1924, sous sa forme actuelle, où
le cristal a été remplacé par du verre blanc.
Il est produit bon an mal an 600 000 bouteilles de ce champagne
puissant, fin et fruité, que les amateurs du monde entier
s'arrachent. Le Cristal Rooderer 1989 se présente avec
une robe or pâle. Les bulles sont fines et forment un cordon
persistant. Au nez, on remarque des notes de brioche, de miel
et d'agrumes d'une belle intensité. En bouche, lessaveurs
sont riches et concentrées, I'ensemble se caractérise
par son élogance et une finale exceptionnellement longue.
Idéal sur des noix de Saint-Jacques aux truffes.
Château
Lafite-Rothschild 1988,
Premier Cru classé de Pauillac
Considéré depuis
toujours comme un des plus grands vins de Bordeaux (c'est le
premier cru à être cité dans le fameux classement
de 1855), Lafite fut racheté en 1868 par le baron James
de Rothschild, de la branche française des Rothschild.
C'est aujourd'hui un de ses descendants, Eric de Rothschild qui
est aux commandes de la propriété. Lafite est le
plus grand des premiers crus avec une superficie de 92 hectares.
C'est un vignoble graveleux, avec un sous-sol calcaire. L'encépagement
se répartit entre 70 % de cabernet-sauvignon, 20 % de
merlot, 5 % de cabernet franc et 5 % de petit verdot. Le Château
Lafite-Rothschild 1988 est un vin qui se caractérise par
sa finesse et son élégance. Le nez est subtil et
complexe avec des arômes riches et concentrés parmi
lesquels on distingue une note de violette. En bouche, il est
harmonieux et présente un bel équilibre entre des
tannins bien mûrs, le fruit et l'acidité. La persistance
est toujours étonnante. Ce grand vin de haute gastronomie
accompagne de multiples préparations mais il est remarquablement
mis en valeur par un agneau de Pauillac truffé.
Hermitage
La Chapelle 1988
Le vignoble de l'Hermitage
s'étend sur un imposant coteau granitique dominant la
rive gauche du Rhône. Les 126 hectares de l'appellation
sont exposés plein sud et reçoivent toute la journée
les rayons du soleil. En blanc comme en rouge, les hermitages
sont des très grands vins de garde qui n'expriment la
totalité de leur potentiel aromatique qu'aprés
plusieurs années. La maison Jaboulet produit le plus grand
vin rouge de l'Hermitage, le fameux Hermitage La Chapelle, un
des grands vins mythiques du patrimoine viticole français.
Il est élaboré uniquement à partir du cépage
syrah, les vignes ont un âge moyen de quarante ans. La
robe de l'Hermitage La Chapelle ressemble dans sa jeunesse à
la couleur des cerises très mûres, il déploie
alors des arômes de cassis, de violette et de fruits sauvages.
En vieillissant, il évoluera vers des arômes de
cuir, de truffe, d'humus et de sous-bois. En bouche, il se caractérise
par la finesse de ses tannins et une superbe finale épice.
Il accompagnera des mets pleins de goût et de saveurs comme
un filet de boeuf en croûte truffé ou un tournedos
Rossini.
Laurens Delpech
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Autres vins
Tous ces vins sont exceptionnels, et en contrepartie, ils sont rares et coûteux On peut également viser quelques crans en dessous des crus plus abordables qui apporteront à l'amateur de traffes beaucoup de satisfactions. Voici quelques exemples à des prix voisins de 15 euros ou même nettement inférieurs :
Bourgogne
Le chambolle-musigny Aux Chezeaux du Domaine Armelle et Bernard Rion à Vosne Romanée ou le aloxe-corton de Faiveley.
Bordeaux
Un lalande de Pomerol, le Château La Fleur Saint-Georges ou un Cru Bourgeois de Margaux, le Château Charmant Ces deux vins, à forte prédominance de merlot s'entendent trés bien avec les truffes, tout comme le Château Cassagne Haut-Canon, un excellent Canon-Fronsac ou le Château Le Doyenne dans les premières Côtes de Bordeaux.
Champagne
Essayez le brut sans année et le rosé non millésimé de la maison Ariston, d'un trés bon rapport qualité-prix.
Côtes-du-Rhône
Le Crozes-Hermitage de la maison Jaboulet est tout à fait recommandable, mais vous pouvez aussi descendre plus au sud pour sélectionner un Coteau d'Aix, le Clos de la Truffière du Domaine du Deffends, qui accompagne merveilleusement bien toutes les préparations à base de truffes.
Mention spéciale aux Coteaux du Tricastin, premier terroir de la truffe en France, où des vignerons talentueux (souvent aussi trufficulteurs), produisent des rouges dont les parfums subtils et puissants font écho à ceux du diamant noir
N'oubliez pas enfin les vins du Sud-Ouest, depuis les Bergeracs et les Pécharmants
jusqu'aux Madirans, en passant par les Cahors.